Vibrations locales : le vrai visage de l’électro dans la Nièvre et la Franche-Comté

08/06/2025

Électro régional : bouillonnement discret mais indomptable

Quand on parle de la scène musicale en Nièvre ou Franche-Comté, avouons-le : l’électro n’est généralement pas la première à être citée. Trop “urbaine” ? Pas vraiment la culture “terroir” ? Pourtant, depuis les années 2000 (voire bien avant pour les initiés), une micro-scène vibre, persiste, et façonne ses propres codes, entre événements confidentiels, collectifs passionnés, et têtes chercheuses jamais lassées d’expérimenter.

Ici, pas besoin d’affiches clinquantes ou de budgets pharaoniques pour faire gronder les basses. On parle de lives dans des MJC réhabilitées, de warehouses improvisées sur les rives de la Loire, et de collectifs qui font tourner les platines partout où on leur laisse un coin de table. Le tout porté par une envie : prouver que l’électro locale vaut bien un passage en prime time.

Panorama non exhaustif des figures et collectifs qui secouent la région

Cette scène a ses héros locaux

  • Les soirées C.L.A.C. : À Nevers, impossible de passer à côté du Collectif Local d’Activisme Culturel (C.L.A.C.). Nés en 2013, ces agitateurs ont imposé leur grain avec leurs soirées “BPM sur la Loire”, où la house et la techno flirtent avec une scénographie DIY. Leur dernier événement a réuni plus de 200 festivaliers début 2024 (source : Facebook C.L.A.C.).
  • Le label Mère Noire (Besançon) : Créé par Benoît K et Émilie S, ce micro-label besançonnais a pressé des galettes avec des artistes locaux comme Dwaal, oscillant entre IDM, dark techno et ambient. La compilation Mère Noire #3 (2021) a été chroniquée par Trax Magazine pour son audace atmosphérique et ses textures minimalistes.
  • Les Frigos Électriques (Dole - Jura) : Un collectif à l’entêtante obsession rave, qui organise des open airs chaque été dans des coins improbables du Jura. Leur credo : faire découvrir l’acid house et la trance à ceux qui pensaient que la techno, “c’est juste du boum boum”. En 2023, 3 événements ont réuni plus de 500 personnes — sans jamais une tête d’affiche venue de Paris ou Berlin.
  • Le Tremplin Électro du Festival Sons d’Automne (Nevers) : Un concours annuel qui a révélé des noms comme Tmod (techno mélodique) ou Lethargyk (downtempo, ambient), tous deux ayant autoproduit leurs premiers EPs après leur passage sur scène.

Une influence électro syncrétique

La richesse de la scène locale, c’est son absence d’uniformité. On saute sans complexe du breakbeat à la synthwave, de la house de salon aux expérimentations IDM, le tout influencé par les grands courants venus de Lyon, Dijon ou Paris… mais digéré à la sauce locale.

  • L’electro live : Moins DJ sets, plus lives sur machines. C’est le cas du nivernais Sam Logic, qui triture ses synthés modulaires en mode performance (concerts à La Péniche, La Sellerie – source : LeJSL.fr).
  • Digital et analogique : Bytme et ses amis du FabLab à Montbéliard organisent chaque année depuis 2018 des sessions hybrides, où l’on peut tester des boîtes à rythmes, bidouiller du hardware, et repartir avec un sample pack local.
  • La rencontre des styles : Sur la scène bisontine, les bœufs électroniques du Bastion voient mixer punk garage et électro, histoire de casser les frontières (Programme en ligne : bastion-besancon.fr).

Chiffres et réalités : peser l’impact réel de la scène électro régionale

D’accord, les chiffres ne sont pas les plus sexy, mais impossible de comprendre la dynamique sans eux. Selon le Réseau des Musiques Actuelles de Bourgogne-Franche-Comté (RMABFC), la scène électro représente environ 10 à 13 % des événements musicaux “hors bars” dans la région, avec une nette progression depuis 2018. Sur les 560 concerts dénombrés en 2023 dans la Nièvre et le Jura, une soixantaine incluaient de la musique électro, qu’elle soit pure ou hybridée (source : Observatoire Départemental de la Vie Culturelle).

Ce qui est notable ? Les artistes locaux programment à 60 % dans des lieux alternatifs (bars associatifs, tiers-lieux, festivals indépendants), preuve que la bureaucratie et la précarité des infrastructures freinent encore la naissance de véritables scènes institutionnelles. Mais l’énergie, elle, se diffuse autrement : 80 % des artistes électro locaux diffusent leur musique en ligne, souvent via Bandcamp ou SoundCloud (statistique RMABFC, 2023).

Trois sons électro qui incarnent la patte régionale

  • “Galaxie Loire” – Tmod (Nevers) : Un morceau ciselé entre breakbeat atmosphérique et techno flottante, créé en home-studio à La Grande-Pâture. Son sampling d’enregistrement de cigognes sur la Loire, mixé à une base de beat analogique, donne clairement un côté “local proud”. Tmod s’est hissé dans le Top 10 “découvertes France” sur Radio Pulsar en 2022 (voir playlist).
  • “Dusk On Canal” – Dwaal (Besançon) : Titre phare de la compilation Mère Noire, déployant des nappes de synthé sombres et des rythmiques inspirées des nuits au Bastion. Salué comme « claque nocturne » par Trax Magazine (avril 2021).
  • “Misty Franglais” – Lethargyk (Nevers/Dijon) : Ce duo ose l’alliage trip-hop et house lente, donnant naissance à un son cotonneux, parfait pour illustrer la vibe nièvre-urbaine. Programmation régulière sur Prun’ FM & Radio Campus Dijon.

Tous ces morceaux témoignent d’un même trait : une propension à l’intime, à l’expérimentation, et à la mixité. On est loin des bangers conçus pour les clubs géants, ici le mot d’ordre c’est l’identité.

Où découvrir l’électro régionale aujourd’hui ? (Adresses et formats à suivre)

Pour ceux qui veulent entendre ces sons IRL – outre les plateformes habituelles (Bandcamp, SoundCloud, YouTube) – voici les spots et rendez-vous incontournables :

  • La Péniche (Nièvre) : Programmation électro mensuelle, souvent en soutien aux collectifs locaux. Leur festival “Vibrations sur l’eau” réunit chaque été entre 300 et 500 personnes.
  • Le Bastion (Besançon) : Lieu de résidence d’artistes et d’organisateurs de bœufs électro. Dernière édition : 200 entrées payantes et 7 groupes/electroacts présentés début 2024.
  • La Sellerie (Moulins-Engilbert) : Scène de musiques actuelles qui propose un set électro “open gear” tous les deux mois, en priorité pour les artistes régionaux.
  • Le FabLab Montbéliard : Pour ceux qui aiment la création sonore et le DIY, des ateliers pour monter ses propres machines/synthés une fois par trimestre (infos : [page Facebook FabLab Montbéliard](https://www.facebook.com/fablabmontbeliard/)).

La scène électro s’appuie aussi sur les radios associatives (Radio Nevers, Radio Campus Dijon) pour donner de la visibilité. La playlist “Electro Local Pulse” lancée sur Spotify cumule plus de 30 000 écoutes en 18 mois (données Spotify, consultées avril 2024).

Les obstacles à lever (et les raisons de sourire malgré tout)

Le manque de reconnaissance, de subventions, les loyers (et autorisations…) pour organiser des événements, l’absence de structures intermédiaires pour produire ou distribuer : tout ça pèse. Les artistes locaux dénoncent régulièrement le “biais Paris/Lyon” des programmateurs nationaux (voir le dossier du Petit Bulletin Dijon, janvier 2023), qui préfèrent miser sur des têtes d’affiches déjà estampillées, au détriment des talents émergents en région.

Mais ce déficit de lumière alimente une scène flexible, où l’envie compte plus que le ticket d’entrée, et où l’audace gagne du terrain. Les collectifs locaux multiplient les ponts avec le hip-hop, le rock indé ou la chanson : l’électro régionale ne cherche pas à imiter la capitale, elle s’architecture autour de son propre ADN. C’est parfois fragile, mais c’est toujours authentique.

L’électro régionale, laboratoire permanent et source d’avenir

Difficile de résumer en deux phrases : la scène électro en Nièvre et Franche-Comté, ce n’est pas la surenchère, le marché ou la course à la hype. C’est une question de rencontres, de lieux à préserver, d’expériences et d’émotions. Les sons qui en sortent portent l'énergie d’un territoire, ses zones d’ombre, ses coups de cœur.

Si vous cherchez l’électro “faite maison”, nourrie d’un vrai terroir musical et d’un esprit artisanal, c’est ici que ça se passe. La suite ? C’est à vous aussi de l’écrire : poussez la porte d’un concert, écoutez les playlists locales, contactez les collectifs. À force, cette scène deviendra peut-être la nouvelle référence – à condition qu’on arrête de la regarder avec l’œil du centre et qu’on l’écoute, enfin, pour ce qu’elle est : vivante, inventive et résolument locale.

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