Coulisses des événements qui mixent musique, arts visuels, théâtre… et électrisent la scène locale

15/10/2025

Des frontières artistiques qui explosent : quand la scène refuse le cloisonnement

Depuis dix ans, on voit fleurir partout ces événements où la musique s’acoquine avec la danse contemporaine, où des graffeurs réalisent une fresque pendant un concert, où le théâtre s’invite au cœur des friches industrielles aux côtés d’une expo photo, le tout baignant dans le même joyeux bazar artistique. Alors, pourquoi ce boom des formats “pluridisciplinaires”, et que signifient-ils vraiment pour la dynamique culturelle locale, notamment ici dans la Nièvre ou Franche-Comté ?

Si l’on se penche sur la programmation nationale, d’après une étude de France Festivals (2023), près de 40% des festivals déclarent intégrer au moins deux disciplines différentes – musique, arts visuels, arts vivants, littératures, etc – au sein de leur édition. Ce n’est plus réservé à Paris ou Lyon : les initiatives regorgent aussi en province et en ruralité créative.

Mais quid de ces alliances créatives ? À quoi ça ressemble vraiment dans la Nièvre, ou chez nos voisins bourguignons et francs-comtois ? Pourquoi le public en redemande, et comment les structures s’engouffrent-elles dans la brèche ?

Un panorama local et national : où trouver ces pépites ?

  • Festival Tandem (Nevers) : Pilier de la rentrée culturelle locale. Sa promesse ? Croiser jazz, slam, performances plastiques et ateliers pour enfants, souvent dans les mêmes lieux, parfois même en mode “jam session” entre plasticiens et musiciens. En 2023, 28 artistes ou collectifs étaient à l’affiche sur une dizaine de jours. (Source : Programme officiel Tandem)
  • Les Zaccros d’ma Rue (Nevers) : Théâtre de rue, installations plasticiennes, fanfares et circassiens prennent la ville d’assaut chaque été. C’est l’archétype de la manifestation qui bouscule le rapport au lieu – le trottoir devient scène, la place de la Résistance change de visage le temps d’une perfo géante. En 2022, ce sont 400 artistes invités, 80 compagnies, 250 représentations. (Source : Zaccros d’ma Rue)
  • Festival Itinéraires Bis (Bourgogne-Franche-Comté) : Nomade et rural, il fait la part belle au théâtre, à la musique, au conte et à un labo d’arts numériques. Objectif assumé : réveiller les territoires parfois privés d’offre culturelle. (Source : Côté Mômes, Le JSL)
  • Festival Détonation (Besançon) : Célèbre pour ses programmations qui croisent live électro, résidences d’art visuel et scénographies expérimentales. Les performances finales voient parfois DJ, peintres et scénographes co-créer le show en temps réel.
  • La Caravane des Quartiers (Cosne-sur-Loire) : Festival itinérant qui s’invite dans les quartiers pour mélanger théâtre-forum, concerts acoustiques et ateliers de création plastique avec les habitants eux-mêmes.

Sans oublier, au niveau national, les gros poids lourds comme Les Nuits Sonores à Lyon (musique électronique + arts visuels + conférences), ou Le Printemps de Bourges qui invite régulièrement BD, cinéma et street-art dans ses à-côtés. (Sources : France Festivals, Le Monde)

Pourquoi ce succès ? Publics mixtes, nouveaux formats et économie de la débrouille

  • Toucher plusieurs publics à la fois. C’est LE nerf de la guerre. Familles attirées par les spectacles de marionnettes, noctambules venus pour une scène électro, lycéens qui découvrent la photo ou slam… La pluridisciplinarité casse les logiques de niche. À Nevers, 62% des visiteurs des Zaccros d’ma Rue déclarent venir “pour la diversité” (enquête 2022, Service Culture Ville de Nevers).
  • Le format “expérience”. On ne vient plus “voir un concert” : on participe à une aventure où sens, regards et disciplines se croisent. Selon le baromètre France Festivals, 63% des jeunes 18-30 ans cherchent d’abord “une expérience unique mêlant plusieurs univers”, avant même le line-up.
  • Optimiser les ressources ! En ruralité ou en ville moyenne, mutualiser lieux, budgets et équipes, c’est une question de survie, pas juste de fun. Héberger un atelier BD la journée et un DJ set le soir ? Les salles, déjà fragiles, y gagnent en visibilité et en cohérence économique (voir le rapport CNM “Lieux intermédiaires et indépendants”, 2021).

Dans les coulisses : montage, galères et créativité

Mixer plusieurs disciplines, c’est tout sauf un effet de mode facile. Ce sont des équipes qui jonglent avec des temporalités très différentes : un théâtre de rue se prépare parfois des mois à l’avance là où une expo photo s’accroche en une journée. Le coût technique aussi, au passage : bidouiller un mapping vidéo sur une façade du centre-ville exige savoir-faire et équipement.

Dans la Nièvre, beaucoup de ces festivals pluridisciplinaires fonctionnent avec moins de 5 salariés annuels, et une armée de bénévoles (source : Association Zaccros d’ma Rue). Le budget médian pour ce type de manifestation en Bourgogne-Franche-Comté ? Autour de 50 000 à 150 000 euros par édition, bien loin des grands festivals nationaux (Le Festival d’Avignon, à titre de comparaison, dépasse les 16 millions d’euros en budget cumulé – Source Le Monde, 2023).

Mais la force, c’est la débrouille et l’envie : voir des artistes collaborer, improviser des jams spontanées, ou concevoir un nouveau format mêlant projection et création musicale en direct, c’est LE sel de ces festivals. Les échecs, eux, finissent souvent en anecdotes… et en nouvelles idées pour la suite.

Des disciplines qui se répondent : quelques formats phares

  • Musique live + art visuel en direct : Fresques, plans de VJing, graff dans la rue pendant un set. Les Zaccros d’ma Rue organisent chaque année une battle de street art sur fond de live électro.
  • Concerts immersifs : En Seine-Saint-Denis, la Nuit Blanche a commencé à associer installations plastiques, sound-design spatial et mini concerts acoustiques dans des lieux insolites (parc, piscine, ateliers).
  • Théâtre et installations : Le Festival Impulsion à Dijon transforme hangars ou fermes en labyrinthes artistiques où l’on circule de pièce en pièce, en croisant marionnette, danse et lumières programmées. (Source : France Festivals)

Un chiffre à retenir ? Selon le Ministère de la Culture (Chiffres Clés 2023), 48% des spectateurs en France ont participé à au moins un événement associant plusieurs formes d’arts dans l’année écoulée (hors cinéma).

Les lieux de tous les possibles : tiers-lieux, friches, scènes nomades

Difficile de ne pas évoquer la montée des tiers-lieux culturels : anciens garages, friches reconverties ou moulins désaffectés, ces sites abritent la majorité des expérimentations pluridisciplinaires émergentes. À Nevers, la Maison de la Culture, le Café Charbon, ou encore des lieux plus “éphémères” comme les anciens dépôts municipaux accueillent alternativement concerts punk, expo photo, ateliers d’écriture et performances de cirque.

Au Café Charbon par exemple, 47 événements ont intégré plusieurs disciplines en 2023 (source : programmation Café Charbon). Côté Franche-Comté, la Rodia à Besançon reprogramme de plus en plus de soirées thématiques genre expo-photo, table-ronde et live électro sur la scène, le tout sur la même soirée.

Impacts : sur la scène locale, l’économie, les artistes

  • Pour les artistes : Sortir de la logique “un concert, une scène”. Les musiciens apprennent à bosser avec des plasticiens, des circassiens, des vidéastes. Ça fait émerger des collaborations improbables (et parfois inoubliables).
  • Pour les structures : Plus de diversité dans la programmation = meilleure image, nouveaux publics. Les chiffres du réseau Astre Culturel en témoignent : 31% de hausse de fréquentation moyenne sur 3 ans pour les structures ayant développé une programmation pluridisciplinaire.
  • Côté public : Casser la routine, se laisser surprendre, et même s’engager – davantage d’ateliers participatifs, de créations collaboratives, d’espaces où le public devient acteur (on y croise aussi bien des ados que des retraités ou jeunes enfants).

Et sur le plan économique ? Pour un territoire rural, ces événements sont clairement des moteurs d’attractivité : restauration, hébergement, transports, retombées directes et indirectes. Selon le rapport du CNM “Cartographie des festivals”, chaque euro investi dans un événement culturel de ce type génère jusqu’à 4 euros de retombées locales.

Demain : hybridations, éco-conception, nouvelles communautés

Les limites ne sont clairement plus techniques. Ce sont l’imagination et la résilience face aux subventions qui dictent les prochaines étapes : open-mics croisant poésie et DJing, fablabs éphémères, concerts dans les jardins partagés, collaborations entre artistes et chercheurs (sonores, olfactifs, etc).

Les animations “famille”, le décloisonnement des pratiques amateur/pro, l’ancrage dans l’écologie (récup’, circuits courts pour la bouffe, projets Zéro Déchet pour les décors…), ou le lien avec les communautés exilées ou en marge offrent de nouveaux horizons.

Bref, les événements qui mélangent les disciplines artistiques, c’est bien plus qu’un simple effet de mode : c’est une façon de décloisonner les publics, de stimuler la création locale, et de donner un vrai sens au mot “culture vivante”. Si vous cherchez à vibrer avec la scène d’ici, suivez les programmations qui osent mixer les genres, bousculer les formats… On n’a sans doute encore rien vu.

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